Paris ou la quête du bonheur

Nemo songe aux films-tracts
des anciens révolutionnaires
et à la possibilité de témoigner
à sa façon
d'un Paris en pleine mutation,
de ses habitants en quête du bonheur.




Il commence par une famille
qui présente son nouveau logement
dans un H.L.M.
après avoir quitté son habitation
insalubre d'Aubervilliers.
Les enfants sourient à l'image
mais le plan s'attarde sur le regard perplexe
et mélancolique
de leur sœur aînée.



Suivent les autres portraits...

Deux architectes heureux
d'imaginer la banlieue idéale.

Un inventeur heureux
d'avoir mis au point
le stabilisateur
pour voitures légères

et d'avoir un cerveau fonctionnant
pendant le sommeil.



Le tailleur heureux
quand la caisse est pleine...
pour pouvoir payer ses traites.

Les grouillots heureux
quand ils gagneront beaucoup
d'argent à la bourse...

sans savoir ce qu'ils en feront.

Et ce jeune couple,
formé au cours d'un mariage,
et bientôt marié.





Le danseur du Garden Club
pour qui la danse est un palliatif sexuel.

La couturière d'un théâtre
qui vit retirée dans son imaginaire
par crainte du monde réel.





Le prêtre communiste
qui met fin à son sacerdoce
pour entrer dans l'action
de la lutte ouvrière.

Le jeune Algérien,
victime de violences racistes,
qui garde l'espoir de jours meilleurs.

L'étudiant Dahoméen
qui évoque ses querelles
avec les frères colonialistes
parce qu'ils refaisaient l'Histoire
- et lui préférait bruler en enfer
avec ses ancêtres non convertis
plutôt que de se convertir lui-même.



Il filme au plus près
les visages des ouvriers.
Leur parole se libère :
tous évoquent la répétition
des gestes à la chaîne,
la déshydratation, l'absence de lumière...




...les pauses interdites,
le bruit des machines,
les cadences aliénantes,
les horaires de travail espacés
qui grignotent leurs vies,
ce labeur chronophage
dans un monde sans loisir...




et le reversement de leur salaire
dans les logements et les supermarchés
appartenant au même groupe
industriel
que leur usine.




Les multiples échos
de cette voix revendicative
cimentent leur identité.
La révolte gronde.
Ils prennent les outils audiovisuels
que Nemo laisse à leur disposition
et s'émancipent avec un nouveau regard.





La caméra s'emballe.

Les images des manifestations s'accélèrent
et se mettent alors à trembler,
comme si elles cherchaient à capter
les soubresauts
d'une société
en plein bouleversement.