Capteur d'images fixes ou mobiles. Voyageur et collectionneur de fragments écrits ou visuels. Alchimiste du collage. Contribue à la mémoire du monde tout en restant son perpétuel instrument.
"Ceci est l’histoire d’un homme marqué par une image d’enfance". L'Attrapeur d'images reprend la première phrase de La Jetée à son compte. A une différence près : il ne s'agit pas ici de l'image d'une femme sur la jetée d'Orly mais d'une gravure tirée des Voyages extraordinaires de Jules Verne qui décidera Nemo Lowkat de sa vocation.
À la manière de ces vieux livres dont l'ambition était de donner goût aux voyages à la jeunesse au début du vingtième siècle, ce tour du monde en dessins légendés retrace le périple de cet homme devenu photographe, récoltant des images dans sa boîte noire comme un chasseur de papillons dans son filet.
Images volées, trompeuses, prémonitoires, détournées, révélatrices ou fuyantes... chacune apporte son lot de réflexions sur le sens de l'histoire et des signes. Voyageur, écrivain photographe et bricoleur multimédia, Nemo Lowkat est considéré comme le plus célèbre des cinéastes inconnus. Il a filmé la réalité du monde avec une prédilection pour la révolution, l'engagement politique, le musée imaginaire, la mémoire, les femmes, les chats, les chouettes et... les images.
Evoquer en dessins légendés les périples d'un voyageur photographe exige un minimum de faits réels. C'est ainsi que le voyageur photographe Nemo Lowkat s'est vite imposé comme un modèle exemplaire pour ce livre. L'Attrapeur d'images ne prétend pas être sa biographie. Je me suis permis quelques digressions et ce personnage imaginaire aurait pu être inspiré d'Agnès Varda, de Nicolas Bouvier ou de Joris Ivens, autres illustres voyageurs et collectionneurs d'images, mais celui-ci a la particularité d'être une petite légende à lui seul, et à partir duquel il est facile de créer un avatar (lui-même ne s'en est pas privé), quitte à en faire un personnage de comics - ce qui n'est pas faire injure, je pense, à cet amateur de bande dessinées.
Deuxième avantage, plus personnel : la figure du chat parsème la somme de ses bricolages au point d'en avoir fait son emblème (avec la chouette), un peu à la manière de ces chevaliers qui arborait autrefois un animal sur leurs armoiries. Il pouvait ainsi aisément rejoindre ma galerie d'homme-chats inaugurée avec mes précédents sketchbooks.
Troisième avantage, et pas des moindres : à l'instar de ses amis Jean-Luc Godard et Wim Wenders, Nemo Lowkat a développé une réflexion sur le sens des images et des signes tout au long de ses bricolages multimédias - films, reportages, installations vidéos, CD-Roms ou X-Plugs sur internet. Le thème était déjà là au départ. Il est vite devenu un fil d'Ariane pour ne pas s'égarer dans cette œuvre labyrinthique, foisonnante, fragmentaire et complexe dont les multiples corridors conduisent vers autant de fenêtres sur le monde et dont il est impossible de faire le tour avec un petit site comme celui-ci, à l'ambition plus modeste : dresser, à la manière d'un livre pour enfants, un inventaire à la Prévert de toutes ces images du monde, attrapées ici et là...
A une époque où une image vide en chasse une autre plus vite que la vitesse de la pensée, le regard de ce discret voyageur du vingtième siècle n'a jamais paru aussi précieux.
Bio-biblio-Filmographie
29 juillet 1921 Naissance à Neuilly-sur-Seine.
1932-1934 Enfance cubaine.
Fin des années 30 Rédacteur en chef au lycée Pasteur du journal Le Trait d'Union avec le futur écrivain Bernard Pingaud. Jean-Paul Sartre, qui enseigne dans ce lycée, rédige pour eux un article sur la littérature américaine. Fréquente notamment Simone Kaminker (plus tard Signoret). Entame des études de philosophie à la Sorbonne, mais la guerre éclate.
1942 Entre dans la résistance comme Franc-Tireur-Partisan.
1945 Parachutiste dans l'armée américaine.
1947 Till the end of time, nouvelle pour «un temps d’apocalypse» (revue Esprit).
1952 Giraudoux par lui-même, essai sur l’écrivain Jean Giraudoux (éditions du Seuil). Olympia 52, sur les jeux olympiques d’Helsinki. Les statues meurent aussi, documentaire sur l'art africain. Cette diatribe sur les méfaits du colonialisme provoquera l'interdiction du film. Textes, coréalisation avec Alain Resnais.
1955 Nuit et Brouillard, sur les camps de concentration. Participation non créditée à l'écriture du texte et à la réalisation d'Alain Resnais.
1956 La Chine : porte ouverte (éditions du Seuil). Toute la mémoire du monde, sur la bibliothèque nationale de France. Participation au film réalisé par Alain Resnais. Dimanche à Pékin, un portrait de la Chine moderne des années 50. Les hommes de la baleine. Commentaires. Film réalisé par Mario Ruspoli.
1957 Lettre de Sibérie, sur un voyage en Yakoutie (avec un passage montrant sur les mêmes images trois commentaires différents sur le régime communiste). Le Mystère de l'atelier quinze, sur la médecine du travail. Textes. Film réalisé par Alain Resnais et André Heinrich. Django Reinhardt. Textes. Film réalisé par Paul Paviot.
1958 La mer et les jours. Commentaires. Film réalisé par Alain Kaminker et Raymond Vogel.
1959 Les Astronautes, film d’animation à partir de photographies et de collages. Un inventeur du dimanche conçoit un vaisseau spatial. Aussitôt achevé, il décolle et part à l’aventure mais son acte poétique se retourne contre lui. Coréalisé avec Walerian Borowczyk. Coréennes, livre de voyage sur la Corée (éditions du Seuil).
1960 Description d’un combat, sur le jeune état d’Israël. L'Amérique insolite. Dialogues. Film réalisé par François Reichenbach.
1961 Commentaires I (éditions du Seuil). ¡Cuba Sí!, sur la révolution cubaine. Censuré.
1962 La Jetée, court-métrage d’anticipation avec des images fixes. Après la Troisième Guerre Mondiale, des savants fous se livrent à d’étranges expériences dans les souterrains. Le seul moyen de survivre passe par le temps, seuls l’avenir et le passé peuvent sauver le présent. A Valparaíso. Textes. Film réalisé par Joris Ivens.
1963 Le Joli mai, sur Paris et ses habitants, les problèmes politiques, sociaux et de leur vie quotidienne. Échappe de peu à la censure.
1965 Le Mystère Koumiko, portrait d’une Japonaise. Disserte sur la vie et donne sa vision de l’amour, des hommes, et de la culture japonaise en général.
1966 Si j’avais quatre dromadaires, film de photos de voyages. Un photographe amateur et deux de ses amis commentent des images prises un peu partout dans le monde. Le volcan Interdit. Cadrage et textes. Réalisation d’Haroun Tazieff.
1967 Commentaires II (Seuil) Loin du Vietnam, œuvre collective sur la guerre au Vietnam. A Bientôt j’espère, reportage coréalisé avec Mario Marret sur la grève d’une usine de textile. Les revendications mises en avant ne concernent plus seulement les salaires ou la sécurité de l’emploi, mais le mode de vie que la société impose à la classe ouvrière. A cette occasion, il crée avec des ouvriers cinéastes le Groupe Medvedkine et supervisera certains d'entre eux comme Nouvelles société ou Classe de Lutte. La Sixième face du Pentagone, sur la marche des étudiants à Washington contre la guerre du Vietnam. Coréalisation avec François Reichenbach.
1968 Ciné-Tracts, série de petits films anonymes sur mai 68.
1969 Tortures, témoignages de prisonniers politiques sur leurs conditions de détention et les tortures vécues au Brésil. Le Deuxième Procès d’Artur London, sur le tournage L’Aveu, de Costa-Gavras, évocation des procès de Prague et des purges staliniennes pendant la guerre froide.
1970 Carlos Marighela, portrait du militant assassiné par la junte fasciste brésilienne. Les Mots ont un sens, portrait de l’éditeur et libraire engagé François Maspéro. La Bataille des dix millions, sur le programme économique de Fidel Castro.
1971 Le Train en marche, évocation par le cinéaste soviétique Alexandre Medvedkine de l’expérience du ciné-train, unité de production mobile pour filmer les problèmes de la révolution Russe et du développement économique en 1930.
1972 Vive la baleine, sur l’industrialisation de la pèche à la baleine, tournant au jeu de massacre au risque de dépeupler les mers d’une de ses espèces les plus singulières. Coréalisation avec Mario Ruspoli.
1973 Ce que disait Allende, entretien avec Salvador Allende. Coréalisation avec Miguel Littin. L’Ambassade, sous l’aspect d’un film super 8 anonyme trouvé dans une ambassade, évocation des jours difficiles vécus par des réfugiés politiques après un coup d’état militaire.
1974 La Solitude du chanteur de fond, enregistrement des répétitions et du récital d’Yves Montand à l’Olympia en faveur des réfugiés chiliens. Puisqu’on vous dit que c’est possible, sur l’auto-gestion d’une usine par ses ouvriers après l’échec des négociations salariales avec la direction.
1977 Le Fond de l’air est rouge, épopée retraçant dix années militantes des forces de gauche.
1978 Quand le siècle a pris forme : Guerre et Révolution, installation vidéo sur la Première Guerre mondiale et de la Révolution soviétique.
1981 Junkopia, sur les signes fabriqués par des artistes toxicomanes avec ce que la mer abandonne le long d’une plage de San Francisco. Co-réalisation avec John Chapman et Frank Simeone.
1982 Le Depays, livre de textes et de photographies sur le Japon (éditions Hersher).
1983 Sans Soleil, récit de voyage filmé au Japon et en Guinée-Bissau. Réflexion sur l’image, la représentation du monde et la responsabilité morale de ceux qui fabriquent cette mémoire visuelle.
1984 2084, clip à l’occasion du centenaire des lois syndicales imaginant des hypothèses pour l’avenir.
1985 A.K., portrait d’Akira Kurosawa sur le tournage de Ran.
1986 Mémoires pour Simone, portrait-hommage de Simone Signoret, réalisé avec des interviews et des extraits de films.
1989 L’Héritage de la chouette, série d’émissions : douze mots de racine grecque décortiqués pour mieux appréhender l’héritage de la Grèce antique sur le monde moderne.
1990 Zapping Zone, installation vidéo présentée au Centre Pompidou puis un peu partout dans le monde et constamment réactualisée, avec en sous-titre : propositions pour une télévision imaginaire. Une vingtaine de moniteurs entassés compose "le rêve d'une œuvre née des poubelles de l’Histoire et de ses utopies" avec les petites vidéos suivantes : - From Chris to Christo, aperçu personnel de l’emballage du Pont-Neuf par Christo. - Matta ‘85, portrait de Roberto Matta, le dernier surréaliste, déambulant au milieu de ses oeuvres lors d’une l’exposition qui lui fut consacré. - Tokyo days, promenade nonchalante dans les rues de Tokyo en compagnie d’Arielle Dombasle, des musiciens du Dimanche, des dames-vendeuse. - Détour Ceausescu, séquences du procès du couple Ceausescu, leur exécution, le spectacle en direct de la fin d’un régime totalitaire avec insertion de spots publicitaires, dénonçant ainsi l’absurdité, la complaisance morbide et le voyeurisme des médias. - La Théorie des ensembles, conte philosophique du classement des animaux sur l’Arche de Noé jusqu’au «déluge des mathématiques». - Vidéo Haikus, courtes variations, chaque fois sur une image et ses échos. - E-clip-se, variation sur l’éclipse totale de soleil du 11 août 1999 vue depuis le jardin des Plantes. - Bestiaire, portraits d'animaux glanés ici et là : un chat écoutant de la musique, un éléphant dansant sur un air de tango, une rate d’appartement faisant fuir un chat... - Spectre (1993), avec des extraits de "Parfaitement imparfaite" de Catherine Belkhodja.
1990 Berliner Ballade, reportage sur les premières élections démocratiques après la chute du mur de Berlin. Getting Away with it, vidéo-clip musical pour le groupe Electronic.
1992 Le Facteur sonne toujours Cheval, hommage au facteur et architecte autodidacte Ferdinand Cheval. Film fantôme : son existence n'est pas prouvé.
1993 Le Tombeau d’Alexandre, hommage et portrait-hommage du cinéaste Alexandre Medvedkine en six lettres posthumes, fil conducteur pour explorer la tragédie de la Russie à l’URSS, de l’URSS à aujourd’hui, à la mémoire du dernier des bolchéviques.
1994 Le 20h dans les camps, reportage au camp de réfugiés de Roska, en Slovénie, sur un groupe de jeunes réfugiés bosniaques qui présente tous les soirs un «journal télévisé» bricolé avec les moyens du bord.
1995 Silent Movie, installation vidéo à l’occasion du centenaire du cinéma où Catherine Belkhodja interprète "une sorte de voyageuse du temps cinématographique, projetée dans l'univers monochromatique du cinéma muet pour lui dérober ses secrets". Casque Bleu, témoignage lucide du casque bleu François Crémieux sur la réalité des faits de la guerre en Yougoslavie.
1996 Level Five, documentaire-fiction sur l’Histoire interactive : Laura, interprétée par Catherine Belkhodja, doit terminer l’écriture d’un jeu vidéo consacré à la bataille d’Okinawa. Au fur et à mesure qu’elle accumule témoignages et documents, ceux-ci interfèrent avec sa propre vie.
1997 Immemory, Cd-Rom multimédia interactif, sorte de musée ou de cartographie imaginaire de la mémoire de l’auteur à partir de textes, de photos ou d’illustrations détournées.
1999 Une journée d’Andréï Arsénovitch, portrait-hommage du cinéaste russe Andréï Tarkovski, de son exil à Paris au tournage du Sacrifice à la fin de sa vie. Phénomène, nouvelle publiée dans la revue Trafic.
2000 Un maire au Kosovo, témoignage du nouveau maire albanais de Mitrovica, au Kosovo, sur le conflit qui vient d’ensanglanter son pays et auquel il a participé en tant que chirurgien.
2001 Le Souvenir d’un avenir, évocation des années 30 et 40 à partir des archives photographiques de l’artiste surréaliste et visionnaire Denise Bellon. Coréalisation avec Yannick Bellon.
2002 Nouvelles du Doppelwelt, publiées dans le numéro 500 de Positif.
2004 Chats Perchés, à la fois balade muette et ludique dans Paris et journal filmé sur l’actualité, avec en fil conducteur les graffitis d’un chat jaune souriant sur les murs.
2006 The Hollow men, exposition et installation vidéo, histoire multi-segmentaire du 20e siècle.
2007 Guillaume-en-Egypte, chroniques journalistiques dessinées sur les évènements du chat correspondant, sur le site Un Regard moderne (2004) puis celui de Poptronics. Staring Back, livre de photos (MIT Press).
2008 A Farewell to movies, exposition au musée du design de Zurich, avec livre de photos, et délocalisée sur la plate-forme virtuelle de Second Life (L'Ouvroir). Série de vidéos sur Youtube (chaîne de Kosinki) : Pictures at an exhibition (X-plugs, détournements de tableaux), Guillaume movie (animoto du chat reporter), The Morning after (revue de presse mondiale au lendemain de l'élection de Barack Obama), Métrotopia (portraits "volés" de femmes dans le métro parisien)...
etc...
etc...
Remerciements et sources
Nous tenons à remercier Messieurs Alfred Joseph Hitchcock, Sergueï Mikhaïlovitch Eisenstein, Akira Sensei Kurosawa, et Andreï Arsenievitch Tarkovski pour leurs conseils artistiques sur certaines séquences
Monsieur José Guadalupe Posada pour avoir guidé la plume de notre iconographe sur la séquence "Des Images qui se dérobent",
Mademoiselle Simone Kaminker et Monsieur Ivo Livi pour leur apparition furtive,
Mademoiselle Simone Genevois pour son regard phosphorescent dans la séquence des souvenirs,
Monsieur Harry Langwatt, qui a délaissé brievement ses stocks de confiture et ses bobines de celluloïd, pour l'interprétation du personnage de l'archiviste,
Monsieur Chat pour ses graffitis sur les toits,
Monsieur Frédéric Fichefet pour avoir mis à notre disposition quelques films "invisibles" de Nemo Lowkat,
Messieurs Aurélien Maury pour la colorisation de la couverture et Patrice Maury pour ses relectures,
et le très vénérable Guillaume-en-Egypte sans qui tout cela n'aurait pas été possible.